J’ai décidé cette saison de ne plus aborder les livres dans lesquels le sommeil est sorti vainqueur. Je ne parlerai cette fois que de quelques ouvrages agréables, et avec la subjectivité qui s’impose, ils n’ont pas, du moins dans mon cas, fait concurrence aux benzodiazépines et apparentés !
" Le monde est une comédie pour ceux qui pensent, une tragédie pour ceux qui sentent. " Horace

Jessica Anthony - Nage libre - le cherche midi
Traduit de l’américain
Un jour de 1957, après avoir décidé d'aller se baigner dans la piscine de sa résidence, une piscine où personne ne va jamais, Kathleen Beckett se met en tête d'y rester. J’aime l’idée de ce petit bouquin - on aurait presque imaginé plus court - un drame en un acte : une décision imprévue, qui va bousculer le quotidien et présage sans doute d’une époque en pleine mutation ! Voilà, à travers l’histoire d’une femme qui refait le film de sa vie, au fin fond du Delaware, elle incarne soudain "l’acte déterminant de son existence " ! ? « Elle allait lâcher le morceau, et quand il aurait fini de lui dire la vérité sur l’homme qu’il voulait être, mais n’était pas, elle pourrait lui dire la vérité sur la femme qu’elle était. Voulait être. Kathleen était prête à tout lui dire. »... " Mais Kathleen n’était pas encore prête à sortir de la piscine. Une fois qu’elle serait sortie, tout retournerait à la normale, et la normale n’était plus acceptable ! "

Minh Tran Huy — Ma grand-mère et le pays de la poésie.
Je n’entendais rien au fait vietnamien, et je m’en excuse, ma connaissance de l’Indochine est évanescente et ressemble à la voie de Jeanne Moreau lisant le déchirant adieu de Duras à son Amant. Bref, j’étais impatient de lire le livre de Minh Tran Huy, et le voyage m’a permis de mettre sur une vie, celle de la grand-mère de l’écrivaine : des noms, des drames politiques, deux guerres et des histoires anciennes. Elle écris : « C’est ainsi que le Vietnam des légendes s’est superposé à celui de ton récit, que les contes se sont greffé sur ce que tu m’avais révélé du passé, ces confidences tissées de non-dits qui avaient créé en moi un appel d’air, une soif que ces fables ont contenue, à défaut de l’étancher. » « Le Vietnam dont je rêvais n’avait jamais existé qu’en moi, nourri de mes fantasmes d’ailleurs, des légendes que j’avais lues, de bribes d’histoire familiale affleurante à la surface d’une mémoire indécise et mouvante quand elle n’était pas niée. »

Graham Swift — Douze histoires d'après-guerre. Éditions Gallimard, 2025.
Les nouvelles de cet auteur anglais publiées, pour certaines, dans The Télégraph, New Yorker et l’Atlantic, ont pour leitmotive : la mémoire et les résurgences. D’un simple souvenir surgit une vision neuve du présent. Où, la confrontation de ce qui fut un acte déterminent ou banal du passé du passé - durant la guerre, une jeune fille, au mépris des convenances, s’assoit dans le bus prés d’un soldat américain noir, et engage la conversation - s’entrechoque avec nos vies 8o années plus tard.
Certains textes sont, par contre exagérément longs et fastidieux, et semblent se perdre, comme leur narrateur, en conjectures. Swift tortillant à dessein les introspections des personnages.
Si les séquelles de la guerre sur nos mémoires et notre vision du monde sont indéniables, l’auteur parvient à nous convaincre que, de manière induite, le traumatisme est plus profond dans la civilisation qu’il n’y paraît, et que le conflit de 1945 laisse plusieurs générations après, des traces douloureuses et des blessures morales jusqu’aux petits enfants que nous sommes.

Frederic Berthet — Felicidad — Nouvelles.— Éditions Gallimard, 1993.
Des nouvelles comme il en faudrait tant, elles sont drôles, enlevées, parfaitement écrites et toujours si parisiennes, je dirais presque « Modianesque » ! Je n’avais jamais lu ce livre, je ne regrette pas. Berthet est un écrivain mondain, on déplore parfois qu’il arpentât les soirées au lieu de noircir des cahiers. Mais n’y trouvait-il pas la matière première de ces histoires ? Comme Felicitad, cette impétueuse jeune femme : « elle m’expliqua qu’il existait deux catégories de bulles de champagnes, celles qui remontaient tout de suite à la surface, et celles qui, restant au fond, retenaient leur respiration plus longtemps que les autres. » Ou « Sixtine, elle disait qu’elle aimait les scorpions, les yeux bleus, Oscard Wilde, les gens qui parlaient peu et comme voiture les Panther-Lima. Elle n’aimait pas les endives, détestait tomber amoureuse, mais adorait les réconciliations. »
Berthet est mort en 2003 à 49 ans, il laisse une œuvre trop maigre. Du coup on réédite ses rubriques (la table ronde) à peine une cinquantaine d’articles littéraires, il chroniquait au Figaro quand le journal n’était que de droite, un peu avant de devenir extrême. Si c’était aujourd’hui, j’ose imaginer qu’il ne s’y serait pas plu, ou pire n’aurait pas été invité. Toujours est-il qu’il résume sa philosophie en quelques lignes :
« Ce n’était pas très difficile d’être romantique, ces années-là, vous savez. On était romantique sans le faire exprès — et on finissait par payer le prix sans même s’en être aperçu. »